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DIETERLÉ Nicolas

Nicolas DIETERLÉ
poète, peintre et dessinateur français
28 août 1963 - 25 septembre 2000
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"Nuage vainqueur de l’aridité céleste,
te voici posé au bout de la branche claire.
Ta pâleur est forte de mille feux
ton bras lancé loin touche le cœur de l’air
flèche immobile tu transperces l’opaque
et le convertis en œil tendre aigu

Un nuage occupant un incroyable espace est tout à coup né (littéralement, car auparavant il n’y avait rien) en plein ciel. Il était sombre et rude, puis s’est éclairci, s’est fait plus doux. Des oiseaux comme des virgules le traversaient. Il portait sur ses flancs de petits nuages effilochés semblables aux poissons parasites qui accompagnent les requins. Les minutes ont passé et il s’est lentement dirigé vers l’horizon, immuable, porteur d’une grande sagesse. Il ressemblait à une main allongée bénissant le monde, le cours des choses.

L‘expression « il a la tête dans les nuages » s’applique littéralement à moi. Il ne se passe pas de jour sans que j’observe les métamorphoses de ces grandes bêtes feutrées. Ils sont parfois fins comme des anges et d’autres fois d’une solennité de bourgeois bedonnant. Ou bien ils s’enténèbrent, se font menaçants, couvent des éclairs, et alors ce sont des fauves, des requins, des éléphants furieux.

Nuages : glissement au ciel de métaphores géantes

Mots sont comme nuages. Le ciel est la page. Métamorphose est leur loi. Quand ils arrivent au bas de la page – à une des extrémités du ciel – ils s’évanouissent et renaissent immédiatement à l’extrémité opposée. Infini est leur demeure.

Nuage, vainqueur de l’aridité céleste

Ce nuage d’où perle une sueur de lumière est couché obliquement dans l’air, son corps rendu plus léger par l’extase du soir.

Ce nuage, pareil à un long poisson vu en transparence, était si fin, si pur, que la reconnaissance m’envahit. Je m’étais reconnu en lui.

Nuage du soir suspendu tel une perle dans le ciel qui s’ensommeille, tu es le garant de mon être. Pilier tendre, souple colonne, si stable, si permanent, à te regarder je ne sais plus ce que veut dire : faillir.

Tu es un œil qui me regarde sans juger, simplement heureux de me savoir là, en face de toi. Ta profondeur est si grande qu’on pourrait croire que tu n’es que surface. Mais moi je sais ce qu’il en est (car tu m’as initié). Ton amour est si fort qu’il est d’une infinie légèreté. Ta mémoire contient les passés et les avenirs sans nombre, mais de cette richesse rien ne paraît au-dehors, car tu la laisses se jouer en toi sans jamais vouloir la posséder. C’est pourquoi elle ne te marque pas. Tu es sans rides, tu es vierge et antédiluvien.

Nuage du soir, bouche emplie de rosée, tu délivres les mots qui sauvegardent. Poète immobile, je t’écoute et voici que la nuit s’efface.

Baignant dans le bleu très doux du ciel crépusculaire, des nuages en forme d’archipel, les flancs blancs et lisses, flottent gravement et sereinement. On dirait des rêves libérés qui se contentaient jusqu’alors d’errer invisibles, confondus avec les choses, prisonniers de leur incognito, dans le monde trop clair. Puis le soir est venu, indulgent pour leur distraction, leur flottaison, et ils se sont montrés nus, nonchalants, libérés de la pesanteur maniaque du jour (trop souvent le jour est jugement, condamnation, garrot de clarté. Oh, s’il pouvait exister un jour, un seul jour, qui ne vise pas les rêves comme des oiseaux avec les flèches du remords, mais les accueille en lui, tel un père ou une mère très vaste, au ventre doucement tournoyant de lait et d’étoiles)."

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