ABC > Lettre : S > Mot : Spiritualité > Rubriques : Texte > Titre : La Vierge et le nuage - Henri d'ARLES

Henri d'ARLES
Henri Beaudet dit Beaudé
Franciscain et homme de lettres québécois
Princeville (Québec) 9 septembre 1870 – Rome 9 juillet 1930

__________

La Vierge et le nuage

A M. Lucien Rainier

Et vidi, et ecce nubem candidam …
Apoc.

  Le nuage, — cette chose éminemment diverse et ondoyante, imprécise et vaporeuse, dont le poète a dit qu'elle ressemble à nos rêves, — l'Eglise et les Pères en ont fait l'image, le symbole de Marie. Ils comparent la Vierge à la nuée qui flotte au gré des souffles supérieurs, et qui prend, là haut, les formes les plus imprévues, s'y amoncelle en collines croulantes, ou bien s'y étale en îles d'or cerclées d'azur, ou encore s'y disperse en touffes de violettes, s'y effeuille en pétales de roses, en pluie de lilas.
  Et je voudrais rechercher quelles affinités subtiles il peut bien y avoir entre le nuage et la Vierge Marie.

I

  Le nuage se compose de vapeurs. Et il n'est pas au monde de matière plus impalpable. Dans l'ordre des corps, c'est l'un des plus impondérables et des plus fugaces. Tissu de fines gouttelettes empruntées à l'océan, il s'élève, à peine formé, dans l'éther, il y plane, il y règne. Et voyez comme il est sensible, impressionnable à toutes les influences célestes. Le soleil, par exemple, — ce n'est pas seulement sa surface qui s'en illumine. Mais il le boit, il s'en imprègne, il s'en sature, il le laisse pénétrer jusqu'au cœur de son essence, qui en devient radieuse et diaphane. Et c'est alors quelque chose de tout aussi clair, et de plus fin, de plus menu que le cristal, qui vibre et scintille, — comme un poudroiement translucide, lequel, à de certaines heures, s'irise, revêt les nuances les plus charmeuses, absorbe toutes les couleurs de la lumière.
  — Et de même, la liturgie n'applique-t-elle pas à la Vierge ce que l'Écriture dit de la Sagesse Éternelle ? Ne l'appelle-t-elle pas "vapeur de la vertu de Dieu", — "émanation sincère de la clarté du Tout Puissant ? " — Sans doute, Marie appartenait bien à notre nature humaine. Mais elle en était le fruit exquis, le produit le plus distingué. Née de la race d'Adam, elle égalait pourtant, et surpassait même, par les perfections de son âme, les substances spirituelles. Elle était transcendante à tout l'ordre terrestre. Jamais l'ombre seule d'une faute ne vint lui rappeler la déchéance commune à notre espèce, la faire descendre des hautes régions mystiques où son esprit et son cœur habitaient. Son essence très pure flottait en grâce au dessus de nos misères. Nuée candide formée d'un souffle de Dieu, son vol l'emportait dans l'infini.
  Et qui pourrait décrire les jeux de la lumière divine au travers de son âme ? — Car ce n'était pas seulement l'enveloppe, et comme les contours de son être, que la vertu céleste étreignait, si étroitement que ce fût ; mais elle la transperçait toute, au point de ne pas laisser une seule de ses facultés dans la pénombre. Chacune de ses puissances baignait dans une clarté si vive, se prêtait si entièrement à l'action du soleil divin, qu'elle en était toute diaphane, et qu'au travers de sa transparence reluisait tout le ciel, tout le saphir du firmament, — je veux dire la grande image de l’Eternel.

II

  Le nuage est agile. Il obéit au moindre souffle. Il semble qu'une haleine suffirait à le mouvoir. Il va, d'un point à l'autre de l'espace, et tantôt glisse d'une allure rapide, tantôt vogue selon un rythme mesuré et berceur. Mais on ne le voit jamais au repos. Son agilité n'a d'égal que sa souplesse, son aptitude à prendre toutes les formes, gracieuses ou sculpturales. Oh ! que les nuages présentent souvent des modelés superbes. Quel art, quelle infinie variété dans leurs attitudes !
  — Agile, prompte à se mouvoir sous l'impulsion de l'Esprit, Marie le fut merveilleusement. Et l'Eglise lui applique encore cette autre notation de la Sagesse Eternelle, à savoir "qu'elle est plus mobile que tous les mobiles". Qu'est-ce à dire ? — La Vierge avait fait à Dieu l'abandon de sa volonté propre. Et jamais ne reprit-elle un atôme de ce qu'elle Lui avait ainsi cédé. L'Esprit Saint n'a pas rencontré d'âme plus entièrement docile à son souffle. Car Marie ne se contentait pas d'obéir à Dieu, quand Dieu avait parlé, mais elle prévenait ses désirs, elle tâchait de deviner ce qui pouvait lui plaire davantage, et y harmonisait aussitôt ses aspirations et sa conduite. Rien, dans sa nature, de réfractaire aux touches discrètes de l'Esprit. Ce n'est pas elle, qui, selon l'expression si touchante de nos Saints Livres, l'eut jamais "contristé ou contrarié".
  Pourquoi, jeune encore, se rend-elle dans le Temple de Jérusalem, pour consacrer à l'Eternel sa virginité et sa vie, sinon par ce que le lui avait inspiré cette voix qui se fait entendre sans bruit de paroles ? Pourquoi s'en va-t-elle à travers les montagnes, visiter sa cousine Elizabeth, sinon pour obéir encore à l'impulsion divine ? Et pourquoi, jeune mère, prendra-t-elle, avec son enfant, la route de l'exil, sinon par ce que tel était l'ordre d'en haut ?— Tous les pas, tous les mouvements de la Vierge étaient réglés par la vertu céleste. L'Esprit Saint contrôlait toute son activité intérieure et extérieure, la dirigeait entièrement.
  Et Marie fut malléable autant qu'agile, pour revêtir toutes les modalités que la main de Dieu lui imposa. — Quand, à sa forme virginale, l'Eternel, par un miracle de sa toute-puissance, voulut joindre la forme maternelle, et la choisir pour donner le jour au Verbe fait chair, Marie dit simplement : "Ecce ancilla Domini. Je suis l'ancelle du Seigneur. Qu'il me soit fait selon sa parole". — Quand, aux lys de sa candeur, l'Eternel voulut joindre les roses pourpres du martyre, faire d'elle une victime sans tache, à l'exemple de son divin Fils, la faire participer au sacrifice du calvaire, Marie accepta encore, elle se résigna, elle accompagna son Jésus tout le long de son sanglant pèlerinage, et s'immola avec Lui.

  Vierge, Mère, Martyre, — cette triple condition de son existence terrestre, Marie l'a réunie en sa personne auguste, sur l'ordre de cet Esprit de Dieu, à qui elle avait laissé tout pouvoir de la modeler selon son bon plaisir, et quoi qu'il dût lui en coûter à elle-même de larmes, et même de sang!

III

  Le nuage protège contre les ardeurs du soleil. Et c'est lui qui verse sur la terre la pluie féconde et rafraîchissante.
  — Admirable image du rôle de la Vierge à l'égard du monde,et des âmes !
  Les Saints Pères et tous les auteurs mystiques comparent la tentation à une fièvre qui brûle et qui dévore. Eh !bien, les pauvres âmes qui sont en proie à ce feu n'ont qu'à se tourner vers Marie pour qu'aussitôt elles se sentent rafraîchies. Une invocation sincère à la Vierge suffit à apaiser la morsure brûlante du désir. Combien se sont épargné des larmes et des regrets, pour avoir, à ces moments critiques où l'illusion est si forte qu'elle fait perdre de vue la vraie notion du devoir, recouru à Marie. Son ombre salutaire, s'interposant entre eux et l'objet qui les sollicitait, leur a permis de se reprendre à temps, et de garder cet équilibre qui est essentiel dans la vie chrétienne. Quant à ceux qu'une passion malheureuse a tenus, plus on moins longtemps, dans son étreinte ardente, s'ils ont pu se ressaisir enfin, et respirer un air plus calme et plus tempéré, n'est-ce pas grâce à la Vierge ? N'est-ce pas sa protection maternelle qui les a ramenés, peut-être de très loin, dans les frais sentiers de la vertu ?
  Et aussi, la Vierge verse sur le monde la rosée et la pluie divines de la grâce. Quand le prophète s'écriait : "Cieux, répandez votre rosée, et que les nuées pleuvent le Juste !" c'était la Vierge Marie qu'il entrevoyait à l'avance, qu'il interpellait dans l'avenir, dont il annonçait la mission sublime. Marie est vraiment la nuée, qui, sur un signe de l'Eternel, s'est ouverte et a versé sur la terre le Juste, le Messie attendu et réclamé par les siècles. Et maintenant, au long des âges, et jusqu'à la fin des temps, elle plane et planera dans l'azur infini, recéleuse de vie, pourvoyeuse de grâce, n'attendant qu'une prière de notre part, qu'une aspiration, qu'un désir, pour épandre sur nos âmes les flots divins.
  Sous l'Ancien Testament, c'était le plus souvent du sein de la nuée que Dieu parlait à son peuple, lui dictait ses lois, exerçait sur lui son action providentielle. La majesté de Jéhovah s'enfermait dans le cadre flou d'un nuage, pour rayonner de là, à travers tout Israël, son influence et sa vertu. Symbole parfait des procédés d’opération qu'Il allait inaugurer avec la loi nouvelle. Car, désormais, ce n'est plus dans une nuée matérielle qu'Il s'enveloppe, mais dans le cœur et l'âme de Marie. C'est par l'intermédiaire et le ministère de la Vierge qu'Il veut nous faire parvenir les fruits de la Rédemption. Marie, remplie de la faveur divine, divinisée elle-même par tout ce que l'Eternel a accompli en elle de grandes choses, a charge de nous dispenser les trésors infinis.

IV

  O Marie, — nuée candide qui argentez l'azur des cieux, faites qu'à votre exemple, nos âmes se laissent pénétrer à fond par le grand soleil de Dieu. Donnez-nous d'imiter l'harmonie et l'élégance de votre vol, si loin des souillures terrestres. Rendez-nous agiles et souples, pour que le vent de l'Esprit puisse nous modeler à votre image, nous emporter sur les sommets de la perfection.
  O Vierge, — nuée céleste, c'est de vous que nous attendons le rafraîchissement et la vie !

www.valactive.com - Taminh @2017
Agence W - Souri Dekkers © lesnuages 2008