Paul SÉBILLOT
ethnologue, folkloriste, écrivain et peintre français
Matignon 6 février 1843 - Paris 23 avril 1918
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Les nuages
et les apparitions en l'air
Il a déjà été parlé plusieurs fois des nuages, soit en raison des idées populaires sur leur substance ou leur solidité, soit à cause de leur rôle au moment des tempêtes et des orages, ou des personnages qui s'y cachent et qui les guident. La forme et la couleur de certains sont l'objet d'explications traditionnelles, et parfois de légendes.
Dans la partie française des Côtes-du-Nord, on appelle « Chemin de Saint-Jacques » des taches rouges que l'on remarque dans le ciel, et dont voici l'origine. Au temps jadis, une femme riche avait fait promettre à ses trois fils d'aller faire, après sa mort, un pèlerinage à Saint-Jacques en Galice. Ils se mirent en route, mais les deux aînés, mécontents de ce que leur cadet avait été avantagé par la défunte, le frappèrent à coups de couteau, et, lui ayant attaché une pierre au cou, le jetèrent dans la rivière. A leur arrivée au sanctuaire du saint, ils furent bien surpris de voir, agenouillé devant l'autel, le frère qu'ils avaient assassiné, et dont les blessures laissaient couler du sang. Ils lui demandèrent pardon, et il disparut, après le leur avoir accordé ; ils implorèrent aussi la clémence divine, puis trempèrent leurs doigts dans le sang qui était resté près de l'autel. A la porte de l'église, l'un d'eux avant secoué sa main, le sang qui la couvrait, au lieu de tomber par terre, s'éleva dans le ciel et y forma de larges taches rouges. De retour en Bretagne, ils firent pénitence, mais ces taches reparaissaient chaque soir, à l'heure où ils avaient commis le fratricide. Depuis leur mort, on les revoit de temps en temps au ciel, lorsqu'un nouveau crime aussi affreux vient d'être accompli dans le monde.
En Wallonie, les nuages enflammés se rattachent aux opérations culinaires de saint Nicolas, patron des enfants et distributeur de friandises. On dit à Pépinster : S'è sin Nikolè ki kù ; c'est saint Nicolas qui cuit ; à Liège, il met le feu à son four pour y placer les pâtisseries qu'il apporte aux enfants le jour de sa fête à Seraing, il cuit pour eux des grands bonshommes de pâte.
Quand il fait beau, on aperçoit dans le nord-est un nuage blanc, de chaque côté duquel se trouvent deux petits nuages plus foncés qui forment comme deux petits talus. Les marins de la Manche l'ont, en raison de cet aspect, assimilé à une route ; ils l'appellent le Chemin de Saint-Jacques et ils disent que c'est par là qu'il est monté au ciel. Ils le voient avec plaisir, car
Le chemin d’S'aint-Jacques porte bonheur
A tous les navigateurs.
in Le folklore de France – Le ciel et la terre
Livre premier – Chapitre II : les météores § 6 Les nuages et les apparitions en l’air