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Le Nuage rose - III

 

 

 

     Catherine n'en comprit pas le moindre mot. Elle continuait à le regarder, et il grandissait en montant, mais il devenait tout mince et se déchirait en une quantité de petits nuages roses. — Allons ! lui cria Catherine, voilà que tu t'en vas follement te faire boire par le soleil, comme il a bu tous ceux qui étaient dans le pré ! Moi, je t'aurais gardé dans mon tablier, tu ne me gênais point ; ou bien je t'aurais mis dans notre jardin, au frais, sous le gros pommier, ou enfin sur le lavoir, puisque tu aimes à dormir sur l'eau pendant la nuit. Je n'ai jamais soigné un nuage, mais j'aurais appris, et je t'aurais fait durer, tandis que te voilà tout à l'heure emporté en miettes par M. le Vent ou avalé par M. le Soleil !

     Catherine écouta si le nuage lui répondrait. Elle entendit alors, au lieu d'une petite voix, une quantité de voix encore plus petites qui chantaient comme des fauvettes, mais sans qu'il fût possible de deviner ce qu'elles disaient. Et, ces voix devenant toujours plus faibles en s'éloignant, Catherine n'entendit plus rien. Elle ne vit plus rien non plus que le ciel beau et clair, sans trace d'aucun nuage.— Maman, dit-elle à sa mère, qui l'avait appelée pour déjeuner, je voudrais savoir une chose.

     — Quelle chose, ma fille ?

     — C'est ce que les nuages disent quand ils chantent.

     — Les nuages ne chantent pas, petite niaise ; ils grognent et ils jurent quand le tonnerre se met dedans.

     — Ah ! mon Dieu ! reprit Catherine, je ne pensais pas à cela... Pourvu qu'il ne se mette pas dans mon petit nuage rose !

     — Quel nuage rose ? dit Sylvaine, étonnée.

     — Celui qui était dans mon tablier.

     — Tais-toi, dit Sylvaine : tu sais que je n'aime pas qu'on parle au hasard pour dire des bêtises qui n'ont pas de sens. C'est bon pour les enfants de deux ans ; mais te voilà trop grande pour faire la folle.

     Catherine n'osa plus rien dire et s'en fut aux champs quand elle eut déjeuné. Il ne lui restait qu'une petite merlesse, elle l'emporta et s'en amusa une heure ou deux ; mais, comme elle s'était levée de grand matin, elle s'endormit au beau milieu du pré. Elle n'avait plus peur de perdre Bichette ; elle l'avait laissée avec les autres agneaux à la bergerie.

     Quand elle s'éveilla, se trouvant couchée tout de son long sur le dos, elle ne vit que le ciel, et, juste au- dessus de sa tête, le petit nuage qui s'était reformé au plus haut de l'air, et qui tout seul, absolument seul dans le bleu d'une belle journée, brillait comme de l'argent rose.

     — Il est bien joli tout de même, pensa Catherine qui dormait encore à moitié ; mais comme il est loin ! S'il chante encore, je ne peux plus l'entendre. Je voudrais être où il est ; je verrais toute la terre et je marcherais dans tout le ciel sans me fatiguer. S'il n'était pas un ingrat, il m'aurait emmenée là-haut, je me serais couchée sur lui comme sur un duvet, et à présent je verrais de tout près le soleil, je saurais en quoi il est fait.

     Les roitelets des buissons chantaient pendant que Catherine divaguait ainsi, et il lui sembla que ces oisillons se moquaient d'elle et lui criaient en riant : Curieuse, fi, la curieuse ! Bientôt ils firent silence et se retirèrent, tout tremblants de peur, sous la feuillée. Un grand épervier passait dans le ciel et volait en rond juste au-dessous du nuage rose. Ah ! se dit encore Catherine, ils ont beau se moquer et m'appeler curieuse, je voudrais être sur le dos de ce grand oiseau de proie. Je reverrais de plus près mon nuage rose, et peut-être que je pourrais voler jusqu'à lui. Elle s'éveilla tout à fait et se rappela qu'il ne fallait pas dire de sottises, et pour cela ne pas penser à des choses folles. Elle prit sa quenouille et fila de son mieux en tâchant de ne penser à rien ; mais, malgré elle, à tout instant elle relevait la tête et regardait le ciel. L'épervier n'y était plus, mais le nuage rose y était toujours.

     — Qu'est-ce que tu regardes donc là-haut à toute minute, petite Catherine ? lui dit un homme qui passait sur la traquette du pré.

     C'était le père Bataille, qui venait d'abattre un arbre mort dans le pré voisin et qui rapportait la branchée sur ses épaules. Il y en avait lourd, et il s'appuyait contre un saule pour se reposer un moment.

     — Je regarde le nuage là-haut, lui répondit Catherine, et je voudrais savoir de vous, qui avez voyagé et qui êtes savant, pourquoi il est tout seul et ne bouge point.

     — Ah ça ! ma fille, répondit le vieux, c'est ce que, du temps que je voyageais sur la mer dans un vaisseau, j'aurais appelé un grain, et pour moi c’aurait été mauvais signe.

     — Signe de quoi, père Bataille ?

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