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Le Nuage rose - IV

 

 

 

     — Signe de grande tempête, mon enfant. Quand on voit cela en mer, on dit : il va y avoir de l'ouvrage, et du dur ! Ça n'a l'air de rien du tout ; c'est quelquefois gros et blanc comme un petit mouton ; on s'imaginerait qu'on va le mettre sous son bras. Et puis ça grossit, ça noircit, ça s'étend sur tout le ciel, et alors va te promener ! les éclairs, le tonnerre, les coups de vent et toute la boutique du diable ! On se démène pour n'être pas désemparé, et on en réchappe, si on peut !

     — Ah ! mon Dieu, dit Catherine tout effrayée, est-ce que mon nuage rose va devenir méchant comme ça ?

     — Dans nos pays et dans la saison où nous sommes, les grains sont bien rares, et, à mon avis, il n'y a point de vrais dangers sur terre ; c'est égal pourtant, il est drôle, ton nuage rose !

     — Pourquoi drôle, père Bataille ?

     — Dame ! reprit le vieux marin, je lui trouve une drôle de mine, et j'aime autant me dépêcher de faire mon ouvrage avant le soir. J'ai encore trois charges de branchée à rentrer.

     Il repartit, et Catherine essaya de se remettre à filer ; mais elle regardait toujours en haut, et ce n'était pas le moyen d'avancer sa tâche et d'arrondir son fuseau. Il lui semblait que son nuage grossissait et changeait de couleur. Elle ne se trompait pas, il devenait bleu, et puis il devint couleur d'ardoise, et puis il devint noir, et petit à petit s'étendit jusqu'à ce qu'il eût rempli tout un côté du ciel. Tout devint sombre et triste, et le tonnerre commença enfin à gronder.

     Catherine fut contente d'abord de voir son petit nuage devenir si gros, si grand et si fort. À la bonne heure ! dit-elle, je vois bien que ce n'est pas un nuage comme les autres. Le soleil n'a pas pu le boire, et mêmement on dirait que c'est lui qui va manger le soleil. Et dire que j'ai tenu ce matin un pareil nuage dans mon tablier ! Elle en était toute fière ; mais les éclairs sortirent du plus épais de ce terrible nuage ; elle eut peur, et se dépêcha de ramener ses brebis.

     — J'étais en peine de toi, lui dit sa mère, voilà un drôle de temps. Je n'ai jamais vu pareil orage se faire si vite et s'annoncer si mauvais dans la saison où nous voilà.

      L'orage fut terrible en effet. La grêle brisa les vitres de la maison ; le vent emporta les tuiles du toit, la foudre tomba sur le gros pommier du jardin. Catherine n'était guère brave, elle eût voulu se cacher sous le lit, et elle ne pouvait s'empêcher de dire tout haut : — Méchant nuage rose, si j'avais connu ta malice, je ne t'aurais pas mis dans mon tablier ! Sylvaine recommençait à la gronder, mais l'enfant ne pouvait plus se retenir de parler. — Hélas ! ma petite est folle ! disait Sylvaine à ses voisins. — Bah ! bah ! ce n'est rien, répondaient-ils ; c'est l'orage qui l'a épeurée. Ça sera passé demain.

      Le lendemain, en effet, c'était passé. Le soleil se leva tout joyeux. Catherine fit comme le soleil et monta en même temps que lui sur le chaume de sa bergerie. La maison était endommagée, mais la bergerie, plus basse et mieux abritée, n'avait pas souffert. Les petites fleurs du toit, que la pluie avait un peu couchées, les jolies chélidoines jaunes, les orpins blancs et les joubarbes se relevaient et semblaient dire au soleil, en tournant leurs petites figures de son côté : Te voilà donc revenu ? Bonjour, cher père, ne t'en va plus ; nous ne savons que devenir quand tu te caches.

     Catherine eut envie de dire bonjour aussi au père soleil ; mais elle avait peur de l'avoir fâché en laissant échapper le nuage qui s'était tant battu avec lui la veille. Elle n'osa point demander à sa mère, qui passait au-dessous d'elle dans le jardin, si on pouvait fâcher et défâcher le soleil. Sylvaine n'aimait pas les rêvasseries, et Catherine, qui était obéissante, résolut de ne plus en avoir.

Elle en vint à bout ; sa merlesse l'occupa tous les jours suivants, jusqu'à ce qu'elle mourût pour avoir mangé trop de pâtée au fromage blanc. Catherine eut du chagrin et éleva un moineau qui fut croqué par le chat. Autre chagrin. Elle se dégoûta des bêtes et voulut aller à l'école, et puis elle prit goût à sa quenouille, et en grandissant elle devint une fillette très aimable et une fileuse très habile.

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