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Le Nuage rose - V

 

 

 

     Quand elle eut douze ans, sa mère lui dit : — Serais- tu contente de voyager un peu, ma fille, et de voir des pays nouveaux ?

     — Certainement, répondit Catherine ; j'ai toujours eu envie de voir les pays bleus.

     — Que me chantes-tu là, petite ? Il n'y a pas de pays bleus !

     — Si fait, je les vois tous les jours du toit de la bergerie ; tout autour de notre pays qui est vert, il y a un grand pays qui est bleu.

     — Ah ! je vois ce que tu veux dire ; ça te paraît comme ça parce que c'est loin. Eh bien ! tu peux contenter ton envie ; ta grand'tante Colette, qui demeure loin d'ici dans la montagne et que tu ne connais pas, parce qu'elle n'est pas revenue chez nous depuis plus de trente ans, demande à nous voir. La voilà très vieille, et elle est seule, n'ayant jamais été mariée. Elle n'est pas bien riche, et tu auras soin de ne lui rien demander ; au contraire il faut lui offrir ce qu'elle pourra désirer de nous. J'ai peur qu'elle ne s'ennuie et qu'elle ne meure faute de soins ; allons la trouver, et, si elle veut que nous la ramenions au pays, je suis prête à lui obéir, comme c'est mon devoir.

     Catherine se souvint vaguement d'avoir entendu quelquefois ses parents parler entre eux de la tante Colette ; elle n'avait jamais bien compris ce qu'on en disait, elle ne chercha pas à en savoir davantage. L'idée de changer de place et de voir du nouveau lui faisait bouillir le sang ; elle avait beau être devenue sage, les roitelets avaient eu raison de la traiter de curieuse ; elle l'était toujours, et ce n'était pas un mal : elle aimait à s'instruire.

     La voilà partie en diligence avec sa mère ; elles voyagèrent pendant un jour et une nuit et arrivèrent tout étonnées dans la montagne. Sylvaine trouvait cela fort vilain, Catherine n'osait pas lui dire qu'elle le trouvait fort beau.

     Quand elles descendirent de voiture et demandèrent le village où demeurait madame Colette, on leur montra un chemin aussi rapide que le toit de la bergerie de Catherine, et on leur dit : — Il n'y en a pas d'autre, suivez-le.

     — Eh bien ! voilà un drôle de chemin, dit Sylvaine, c'est le monde à l'envers. Il faudrait avoir quatre pattes comme une chèvre pour marcher dans ce pays-ci. Le voilà, ton pays bleu, Catherine ! Le trouves-tu à ton gré ?

     — Je t'assure qu'il est bleu, répondit Catherine. Regarde le haut de la montagne, maman, tu vois bien que c'est bleu !

     — C'est de la neige que tu vois, ma pauvre enfant, et de près elle est blanche.

     — De la neige en été ?

     — Oui, parce qu'il fait si froid là-haut que la neige n'y fond pas.

     Catherine pensa que sa mère se trompait et n'osa pas la contredire ; mais elle était impatiente d'aller s'assurer de la vérité et elle grimpait comme une petite chèvre, encore qu'elle n'eût point quatre pattes à son service.

     Quand elles furent rendues au village, Sylvaine bien lasse et Catherine un peu essoufflée, on leur dit que la tante Colette n'y demeurait pas l'été ; mais elle était de la paroisse, et sa maison n'était pas bien loin. Alors on leur montra un petit toit de planches couvert de grosses pierres, avec des sapins tout autour, et on leur dit : — C'est là ; vous n'avez plus qu'une petite heure à marcher, et vous y serez. — Sylvaine manqua perdre courage. Il y avait autant à monter pour arriver à cette maison qu'on avait déjà monté pour gagner le village, et c'était encore plus raide et plus effrayant.

     Elle avait peur que Catherine n'eût pas la force d'aller jusque-là, et l'endroit lui paraissait si laid et si sauvage qu'elle pensa à redescendre et à retourner vite dans son pays, sans faire savoir à la vieille tante qu'elle était venue dans le sien ; mais Catherine n'était point lasse ni effrayée, elle rendit le courage à sa mère, et, quand elles eurent déjeuné, elles se remirent à grimper. Il n'y avait pas à choisir le bon chemin, il n'y en avait qu'un, et elles n'avaient pas besoin de guide ; elles n'eussent pu se distraire en causant avec lui ; les gens de ce pays-là ne savaient que quelques mots de français. Ils parlaient un patois que ni Catherine ni sa mère ne pouvaient comprendre.

     Enfin, quoique le sentier fût dangereux, elles arrivèrent sans accident à la maison couverte en planches ; il y avait, tout autour, des bois de sapins très jolis qui laissaient à découvert une espèce de prairie en pente douce, creuse au milieu, sans fossés ni barrières, mais abritée des avalanches par des roches très grosses, et tout de suite au-dessus commençait la neige, qui semblait monter jusqu'au ciel, d'abord en escaliers blancs soutenus par le rocher noir, et puis en cristaux de glace d'un beau bleu verdâtre, et cela finissait dans les nuages.

     — Cette fois nous y sommes bien, dans le pays bleu ! pensa Catherine toute joyeuse, et, si nous montions encore un peu, nous serions dans le ciel. — En ce moment, elle pensa à une chose qu'elle avait oubliée depuis longtemps : elle se dit qu'on pouvait monter dans les nuages, et elle se souvint de son nuage rose comme d'un rêve qu'elle aurait eu. L'enfant était si ravie par la vue du glacier qu'elle ne fit pas d'abord grande attention à la tante Colette. Pourtant elle était curieuse de la voir, et plus d'une fois en voyage elle s'était demandé quelle femme ce pouvait être.

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