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Le Nuage rose - VI

 

 

 

     C'était une grande femme pâle avec des cheveux d'argent et une figure assez belle. Elle ne montra pas grand étonnement de voir Sylvaine. — Je t'attendais presque, lui dit-elle en l'embrassant, j'avais rêvé de toi et de ta fille. Voyons si elle est comme je l'ai vue dans mon rêve.

     Catherine s'approcha ; la tante Colette la regarda avec de grands yeux gris très clairs qui semblaient voir les gens jusqu'au fond de l'âme, puis elle l'embrassa en lui disant : — C'est très bien, très bien ! Je suis contente que cette enfant soit venue au monde.

     Quand les voyageuses furent un peu reposées, elle leur montra toute sa résidence.

     La maison qui paraissait petite de loin était grande, vue de près. Elle était tout en bois, mais en si beau bois de sapin et si bien bâtie qu'elle était très solide. Les grosses pierres posées sur le toit empêchaient le vent d'enlever ou de trop secouer la charpente. Tout était fort propre à l'intérieur et les meubles cirés et reluisants faisaient plaisir à voir. Il y avait beaucoup de vaisselle et d'ustensiles de cuivre, pour lits, des caisses de bois remplies de laine et de crin avec de beaux draps blancs et de bonnes couvertures, car il ne faisait jamais chaud dans cet endroit-là. On y faisait du feu tout l'été, et le bois ne manquait point. Une bonne partie des arbres qui entouraient la prairie appartenait, comme la prairie elle-même, à la tante Colette, et dans cette prairie qui était fort grande, elle nourrissait de belles vaches, quelques chèvres et un petit âne pour faire les transports. Il y avait un jeune garçon pour soigner les bêtes et une jeune fille pour faire le ménage et aller aux commissions, car la tante Colette aimait à bien vivre, et deux fois par semaine elle envoyait au village chercher la viande ou le pain ; en un mot, elle était riche, très riche pour une paysanne, et la Sylvaine, qui ne s'était point doutée de cela, car elle était venue pour l'assister si besoin était, ouvrait de grands veux et se sentait intimidée comme devant une dame fort au-dessus d'elle. Catherine était un peu confuse aussi, non pas d'être plus ou moins pauvre que sa grand'tante, mais de voir que celle-ci lui était supérieure par l'éducation. Pourtant, en la trouvant bonne et aimable, elle se tranquillisa et sentit même pour elle une amitié comme si elle l'eût toujours connue.

     Alors, dès le premier jour, elle se mit à la questionner sans façon et apprit qu'elle avait été femme de confiance d'une vieille dame qu'elle avait soignée jusqu'à sa mort et qui lui avait laissé de quoi vivre.

     — Mais elle n'était pas bien riche, ma vieille dame, ajouta la tante Colette, et ce n'est pas avec ce qu'elle a pu me donner que je me suis procuré les aises que vous voyez chez moi. C'est avec mon travail et mon industrie.

     — C'est avec le beau bétail que vous savez élever ? dit Sylvaine.

     — Mon bétail entretient mes affaires, répondit Colette; mais avec quoi ai-je acheté de la terre pour le loger et le nourrir ? le devineras-tu, petite Catherine ?

     — Non, ma tante, je ne le devine point.

     — Sais-tu filer, mon enfant ?

     — Oh ! certainement, ma tante ; si à mon âge je ne savais pas filer, je serais bien sotte.

     — Sais-tu filer très fin ?

     — Mais... oui, assez fin.

     — Elle est la première fileuse de chez nous, dit Sylvaine avec orgueil, et on lui apporterait n'importe quoi à filer qu'elle en viendrait à bout.

     — Filerait-elle bien des toiles d'araignée ? dit la tante Colette.

     Catherine pensa qu'elle se moquait et répondit en riant : — Dame ! dame ! je n'ai jamais essayé.

     — Voyons comment tu files, reprit la grand'tante en lui mettant au côté une quenouille d'ébène et en lui donnant un petit fuseau monté en argent.

     — Voilà bien de jolis outils ! dit Catherine en admirant la finesse de la quenouille, qui était droite comme un jonc, et le fuseau, léger comme une plume ; mais pour filer, ma tante, il faut avoir quelque chose à mettre sur la quenouille.

     — On trouve toujours quelque chose quand on a de l'invention, répondit la tante.

     — Je ne vois pourtant rien ici à filer, reprit Catherine, car vous parliez de toile d'araignée, et votre maison est trop bien époussetée pour qu'il y en ait un brin.

     — Et dehors, Catherine ? puisque te voilà sur le pas de la porte, ne vois-tu rien du tout à mettre sur ta quenouille ?

     — Non, ma tante, car il faudrait que l'écorce des arbres fût broyée et la laine des moutons cardée... et à moins de filer ces nuages qui sont là haut sur le glacier et qui ont l'air de grosses balles de coton...

     — Eh bien ! qui te dit qu'on ne puisse pas filer les nuages ?

     — Excusez-moi, je ne savais pas, dit Catherine, devenue toute pensive et toute sotte.

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