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Le Nuage rose - VII

 

 

 

     — Tu vois bien, lui dit Sylvaine, que ta grand'tante se moque de toi ?

     — Pourtant, reprit la tante, vous savez comment on m'appelle dans le pays ?

     — Je l'ignore, répondit Sylvaine ; nous ne comprenons pas le langage de la montagne, et vous pouvez vous gausser de nous tant qu'il vous plaira.

     — Je ne (me) gausse point. Appelez Benoît, mon petit valet, qui sert le dîner sous le berceau , il parle français, demandez-lui comment je m'appelle.

     Sylvaine appela Benoît, et bien honnêtement lui fit la question :

     — Comment, dans le pays d'ici, appelle-t-on madame Colette, ma tante ?

     — Eh pardi, répondit Benoît, on l'appelle la grande fileuse de nuages !

     On questionna de même la petite servante, qui répondit sans hésiter la même chose.

     — Voilà qui est étonnant par exemple ! dit Catherine à sa mère, filer des nuages ! Eh bien ! pourtant, ma tante, ajouta-t-elle, vous m'apprenez une chose dont je m'étais toujours doutée ; c'est qu'on peut manier ces choses-là. Quand j'étais petite, une fois... elle s'arrêta en voyant sa mère lui faire de gros yeux, comme pour lui dire : ne recommence pas cette sornette-là !

     Madame Colette voulut tout savoir, et Sylvaine lui dit : — Excusez une enfant, ma tante. C'est encore si jeune ! Son idée n'est point de se moquer de vous comme vous vous êtes moquée d'elle ; c'était votre droit, elle sait bien que ce ne serait pas le sien.

      — Mais enfin, reprit la vieille, ça ne me dit pas ce qu'elle voulait dire !

     — Ma chère grand'tante, dit Catherine avec des yeux pleins de larmes, je ne me permettrais pas de me moquer, et pourtant maman me croit menteuse. Je vous assure qu'une fois, étant petite, j'ai ramassé un petit nuage blanc dans mon tablier !

     — Ah ! oui-dà ! dit la tante sans paraître ni fâchée, ni surprise. Et qu'en as-tu fait, ma mignonne ? As-tu essayer de le filer ?

     — Non, ma tante, je l'ai laissé s'envoler, et il est devenu tout rose, et même il est parti en chantant.

     — As-tu compris ce qu'il disait dans sa chanson ?

     — Pas un mot ! Dame, j'étais si jeune !

     — Après qu'il s'est envolé, ne s'est-il pas changé en tonnerre ?

     — Vous dites justement la vérité, ma tante ; il a effondré notre toit, et il a cassé notre gros pommier, qui était tout en fleurs.

     — Voilà ce que c'est que de ne pas se méfier des ingrats! reprit madame Colette, toujours très sérieuse. Il faut se méfier de tout ce qui change, et les nuages sont ce qu'il y a de plus changeant dans le monde ; mais je pense que vous avez faim, voilà le dîner prêt. Aidez-moi à tremper la soupe et nous nous mettrons à table.

     Le dîner fut très bon, et Catherine y fit honneur. Le fromage et la crème étaient exquis ; il y eut même du dessert, car la tante avait dans un bocal des macarons au miel qu'elle faisait elle-même, et qui étaient délicieux. Ni Sylvaine ni sa fille n'avaient jamais fait un pareil repas.

     Quand on eut dîné, la nuit étant venue, madame Colette alluma sa lampe et apporta un petit coffre qu'elle posa sur la table. —Viens ça, dit-elle à Catherine. Il faut que tu saches pourquoi on m'appelle la fileuse de nuages. Approche aussi, Sylvaine, tu apprendras comment j'ai gagné ma petite fortune.

     Qu'est-ce qu'il y avait donc dans ce coffret dont la tante Colette tenait la clé ? Catherine mourait d'envie de le savoir.

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