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Le Nuage rose - VIII

 

 

 

     Il y avait quelque chose de blanc, de mou et de léger, qui ressemblait si bien à un nuage, que Catherine poussa un cri de surprise, et que Sylvaine, s'imaginant que sa tante était sorcière ou fée, devint toute blême de peur.

     Ce n'était pourtant pas un nuage, c'était une grosse floche d'échevaux de fil fin, mais si fin, si fin, qu'il eût fallut couper un cheveu en dix pour faire quelque chose d'aussi fin. C'était si blanc qu'on n'osait y toucher, et si fragile qu'on craignait de l'emmêler en soufflant dessus.

     — Ah ! ma grand'tante, s'écria Catherine toute ravie, si c'est vous qui avez filé cela, on peut bien dire que vous êtes la première filandière du monde, et que toutes les autres sont des tordeuses de ficelle.

     — C'est moi qui ai filé cela, répondit madame Colette, et tous les ans je vends plusieurs de ces boîtes. Vous n'avez pas remarqué en venant ici que toutes les femmes font de la dentelle très fine, qui se vend très cher. Je ne peux pas les fournir toutes et il y a beaucoup de fileuses qui travaillent fort bien, mais aucune n'approche de moi, et on me paie mon fil dix fois plus que celui des autres ; c'est à qui aura du mien, parce qu'avec le mien on fait des ouvrages qu'on ne pourra plus faire quand je ne serai plus de ce monde. Me voilà bien vieille, et ce serait grand dommage que mon secret fût perdu ; n'est-ce pas vrai, Catherine ?

     — Ah ! ma tante, s'écria Catherine, si vous vouliez me le donner ! Ce n'est pas pour l'argent ; mais je serais si fière de travailler comme vous ! Donnez-moi votre secret, je vous en prie.

     — Comme ça, tout de suite ? dit la tante Colette en riant. Eh bien ! je te l'ai dit, il s'agit d'apprendre à filer les nuages.

     Elle serra son coffret, puis, ayant embrassé Sylvaine et Catherine, elle se retira dans sa chambre. Elles couchèrent dans celle où elles se trouvaient et où il y avait en troisième lit pour Renée, la petite servante.

     Comme ce lit se trouvait tout près de celui de Catherine, elles babillèrent tout bas avant de s’endormir. Sylvaine était si lasse qu'elle n'eut pas le temps de les écouter. Catherine faisait mille questions à Renée, qui était à peu près de son âge. Elle n'avait qu’une chose en tête, elle voulait savoir si elle connaissait le secret de sa grand'tante pour filer les nuages. — Il n'y a pas d'autre secret, lui répondit Renée, que d'avoir beaucoup d'adresse et de patience.

     — Pourtant, pour saisir un nuage, le mettre sur une quenouille, l'empêcher de vous fondre dans les doigts, en tirer un fil...

     — Ce n'est pas là le difficile ; le tout, c'est de faire le nuage.

     — Comment ! de faire le nuage ?

     — Eh oui, c'est de le carder !

     — Carder le nuage ! avec quoi ?

     Renée ne répondit pas ; elle s'endormait.

     Catherine essaya de s'endormir aussi, mais elle était trop agitée ; le sommeil ne venait pas. La chandelle était éteinte, et dans la cheminée il n'y avait plus que quelques braises. Cependant Catherine voyait une petite clarté dans le haut de la chambre. Elle sortit sa tête du lit et vit qu'au haut de l'escalier par où la tante Colette s'en était allée, il y avait, le long de la porte, un filet de lumière. Elle n'y put tenir, et, marchant pieds nus avec précaution, elle gagna l'escalier. Il était en bois, et Catherine craignait bien de le faire craquer. Elle était si légère qu'elle réussit à atteindre sans bruit la dernière marche et à regarder dans la chambre de sa tante par la petite fente de la porte. Devinez ce qu'elle vit.

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