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Le Nuage rose - IX

 

 

 

     Elle ne vit rien qu'une chambrette très propre, avec une petite lampe pendue dans la cheminée. Il n'y avait personne dans cette chambre, et Catherine se retira toute confuse, car elle sentait bien qu'elle venait de faire quelque chose de très mal en voulant s'emparer par surprise d'un secret quelle ne méritait plus d'apprendre. Elle retourna à son lit en se faisant des reproches qui furent cause qu'elle eut de mauvais rêves. Elle se promit en s'éveillant de n'être plus si curieuse et d'attendre le bon plaisir de sa tante. Renée l'emmena traire les vaches, et puis elles les menèrent au pré, si l'on peut appeler pré un ressaut de montagne tout herbu naturellement et point du tout cultivé. C'était tout de même un endroit bien joli. Une belle eau bien froide qui suintait du glacier se détournait en suivant le rocher et allait tomber en cascades au bout de l'herbage. Catherine, qui n'avait jamais vu de cascade que dans l'écluse des moulins, trouvait cette eau si belle qu'elle s'éblouissait les yeux à regarder tous les diamants qu'elle charriait au soleil. Elle n'osait pourtant pas la traverser en sautant de pierre en pierre comme faisait Renée ; mais elle s'y habitua vite, et au bout de deux heures c'était un jeu pour elle.

     Elle voulut aussi monter un peu sur le glacier. Renée lui montra jusqu'où on pouvait aller sans danger de rencontrer des crevasses et lui enseigna la manière de marcher sans glisser. À la fin de la journée, Catherine était tout enhardie, et même elle savait quelques mots du patois de la montagne.

     Comme tout était nouveau pour elle, elle s'amusa beaucoup et prit la montagne en si grande amitié qu'elle eut un vrai chagrin quand Sylvaine lui parla le lendemain de s'en retourner dans son pays. La tante Colette était si douce, si indulgente ! Catherine l'aimait encore plus que la montagne.

     — Eh bien ! ma fille, lui dit Sylvaine, il y a un moyen de te contenter, c'est de rester ici. Ta grand'tante désire te garder et elle m'a promis de t'apprendre à carder et à filer aussi bien qu'elle ; mais il faut du temps et de la patience, et, comme je te connais un peu trop vive et sujette à changer d'idées, j'ai dit non. Pourtant, si tu te crois capable d'apprendre à filer aussi bien que ta tante, comme tu as déjà réussi à filer aussi bien que moi, je ne dois pas m'opposer à ce que tu deviennes riche et heureuse comme elle. C'est à toi de te consulter.

     La première idée de Catherine fut d'embrasser sa mère en lui jurant qu'elle ne voulait pas la quitter ; mais le lendemain, Sylvaine lui ayant dit que c'était un grand tort de négliger l'occasion de s'instruire, elle hésita. Le jour d'après, Sylvaine lui dit : - Nous ne sommes pas riches. Ta grande sœur a déjà trois enfants et le frère aîné en a cinq ; moi, veuve, je crains pour mes vieux jours. Si tu étais riche et savante, tu sauverais toute ta famille. Reste ici ; la tante Colette t'aime beaucoup, tes petits défauts ne la choquent pas, et je la vois disposée à te gâter. L'endroit te plaît, je reviendrai te chercher dans trois mois, et si tu veux revenir avec moi au pays, nous reviendrons. Si c'est le contraire, tu resteras, et qui sait si la tante ne te donnera pas un jour tout ce qu'elle possède ?

     Catherine pleura encore à l'idée de quitter sa mère. — Reste avec moi, lui dit-elle, je te jure que j'apprendrai à carder et à filer dans la perfection.

     Mais Sylvaine avait déjà le mal du pays. — Si je restais ici, dit-elle, j'y mourrais ou j'y deviendrais folle. Vois si tu veux cela ! Et d'un autre côté vois si, pouvant nous enrichir, tu crois devoir t'y refuser.

     Catherine s'en alla coucher en sanglotant, mais en promettant à sa mère de faire ce qu'elle lui dirait de faire.

     Le lendemain, Renée ne l'éveilla pas et elle dormit jusqu'à neuf heures du matin. Alors elle vit auprès de son lit la tante Colette qui lui dit en l'embrassant : — Ma petite Catherine, tu vas être courageuse et raisonnable ! Ta mère est partie de grand matin ; elle t'a embrassée de tout son cœur pendant que tu dormais et m'a chargée de te dire qu'elle reviendrait dans trois mois. Elle n'a pas voulu t'éveiller, tu aurais eu trop de chagrin de la voir partir. — Et comme Catherine pleurait très fort, tout en demandant à sa tante de lui pardonner son chagrin : - Je ne trouve pas mauvais que tu regrettes ta mère, reprit la tante Colette ; cela doit être, et tu ne serais pas une bonne fille, si tu ne la regrettais pas ; mais je te prie, dans ton intérêt, mon enfant, d'avoir le plus de courage que tu pourras, et je te promets de faire de mon mieux pour que tu sois heureuse avec moi. Tu dois te dire que ta mère a beaucoup de chagrin aussi et qu'une seule chose peut la consoler, c'est d'apprendre que tu te soumets de bonne grâce à sa volonté.

     Catherine fit un effort sur elle-même et embrassa sa tante en lui promettant de bien travailler.

     — Pour aujourd'hui, répondit la tante, tu vas te distraire et te promener. Demain nous commencerons.

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