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Le Nuage rose - XI

 

 

 

     — Si j'avais, pensait-elle, les lunettes d'argent de ma grand'tante, je verrais certainement ce que c'est, car elle m'a dit qu'avec ces lunettes-là elle voyait tout ce que les yeux ne voient pas.

     Il lui fallut bien se contenter de ses yeux, et, regardant toujours, elle vit le petit point rouge attirer à lui tous les petits nuages dorés, jusqu'à ce qu'il en fût si enveloppé qu'on ne le voyait plus du tout. Tous les petits nuages réunis n'en faisaient plus qu'un gros qui brillait et tournait en boule d'or au sommet le plus élevé, comme le coq d'une girouette sur un clocher.

     Au bout d'un moment, cette boule s'enleva et monta en se faisant toujours plus petite jusqu'à ce qu'elle devînt toute rose, et Catherine l'entendit chanter d'une voix pure comme le cristal, et sur un air le plus joli du monde : « Bonjour, Catherine ; Catherine, me reconnais-tu ? »

     — Oui, oui, s'écria Catherine : je te reconnais, je t'ai porté dans mon tablier ! Tu es mon petit ami, le nuage rose, celui qui parle et dont j'entends à présent les paroles. Cher petit nuage, tu es un peu fou, tu as cassé mon beau pommier fleuri, mais je te pardonne ! tu es si rose, et je t'aime tant !

     Le nuage répondit : — Ce n'est pas moi, Catherine qui ai cassé ton pommier fleuri, c'est le tonnerre, un méchant qui se loge dans mon cœur et qui me force à devenir fou ; mais, vois, comme je suis doux et tranquille quand tu me regardes avec amitié ! ne viendras-tu pas quelque jour sur le haut du glacier ? Ce n’est pas si difficile qu'on te l'a dit ; c'est même très aisé, tu n’as qu'à vouloir. Je serai là d'ailleurs, et si tu tombes, tu tomberas sur moi, je te soutiendrai pour que tu n’aies pas de mal. Viens demain, Catherine, viens dès le lever du jour. Je t'attendrai toute la nuit, et si tu ne viens pas, j'aurai tant de chagrin que je me fondrai en grosses larmes et qu'il y aura de la pluie toute la journée.

     — J'irai ! s'écria Catherine, j'irai, bien sûr !

     À peine eut-elle fait cette réponse, qu'elle entendit un bruit comme un coup de canon suivi d'un eclatement de mitraille. Elle eut si grand-peur qu’elle s'enfuit, pensant que le malicieux nuage recommençait à la trahir et à lui rendre le mal pour le bien. Comme elle courait tout éperdue vers la maison, elle rencontra Benoît qui sortait fort tranquillement avec son chien. — Est-ce toi, lui dit-elle, qui as fait ce coup de tonnerre avec ton fusil ?

     — Le bruit de tout à l'heure ? répondit-il en riant. Ce n'est ni le tonnerre, ni mon fusil, c'est un lavange.

      — Qu'est-ce que tu veux dire ?

     — C'est la glace qui fond au soleil, qui éclate et qui roule en entraînant des pierres, de la terre et quelquefois des arbres, quand il s'en trouve sur son passage, des personnes par conséquent, si le malheur veut qu’il y en ait qui ne se garent pas à temps ; mais on n’a pas toujours la mauvaise chance, c'est même très rare, et il faut t'habituer à voir ces accidents-là. À présent que le beau temps est revenu, ça se verra tous les jours, et peut-être à toute heure.

     — Je m'y habituerai ; mais puisque te voilà, Benoît, dis-moi donc si tu monterais bien sur la grande dent du glacier, toi qui es un garçon et qui n’as peur de rien ?

     — Non, dit Benoît, on ne monte pas sur ces dents-là ; mais j’ai bien été tout auprès et j'en ai touché le pied. Ce n'est pas la saison pour s'amuser à ça, il fait trop chaud, et des crevasses peuvent s'ouvrir à chaque instant.

     — Mais pourrais-tu me dire ce qu'on voit par moment de rouge sur la pointe de la grande dent ?

     — Tu l’as donc vu, le point rouge ? tu as de bons yeux ! C’est un drapeau que des voyageurs avaient planté sur le plus haut rocher de la montagne, il y a environ un mois, pour faire savoir à ceux qui les regardaient d’en bas qu'ils avaient réussi à monter jusque-là. Il est venu un fort coup de vent qui les a forcés de redescendre bien vite en laissant là leur drapeau que la bourrasque a emporté sur la crête du glacier, et qui y est resté accroché en attendant qu'une autre tempête le décroche.

     Catherine dut se contenter de l'explication de Benoît ; mais il lui avait passé par la tête une fantaisie qui lui revint en voyant de loin la tante Colette se promener au bas du glacier avec son capulet de laine écarlate sur la tête et sur les épaules. Elle n'était pas si loin que Catherine ne pût la reconnaître, et, bien que la pauvre enfant n'eût pas filé trois aunes de fil ce jour là, elle alla tout de suite à sa rencontre, sans songer à quitter sa quenouille pleine et son fuseau vide.

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