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Le Nuage rose - XIV

 

 

 


     Catherine se crut précipitée au bas de la montagne, mais il n'en fut rien ; elle se trouva retenue en l'air par le fil que sa tante avait enroulé autour de son bras, et elle put marcher sur les nuages aussi facilement que si c'eût été la prairie. — Allons, balaie, cria madame Colette ; amène-moi ici tous ces nuages, il me les faut tous, tous, sans qu'il en manque un seul.

     Catherine balayait, balayait, mais jamais assez bien et assez vite au gré de sa tante, qui lui criait : — Allons, plus vite et mieux que ça ! Plus loin, plus loin ! Faudra-t-il t'envoyer une charrette et des bœufs pour me rentrer tous ces nuages ?

     Catherine parcourait tout le ciel, ramenant en tas les nuages que poussait son grand balai. En un instant, elle eut proprement balayé tout le ciel. — Amène-moi les tas ! criait encore dame Colette ; pousse, pousse ! Il m'en faut faire un seul et que je l'aie là dans les mains ! — Catherine poussait, amassait, et Colette rangeait tout cela en une meule gigantesque qui couvrait toute la dent du glacier.

     — Reviens, à présent, lui dit-elle, il faut m'aider ; mais attends que je mette mes lunettes ! Elle mit sur son nez aquilin ses grandes lunettes d'argent : — Que vois-je ? s'écria-t-elle, tu as oublié le nuage rose ! Crois-tu que je veuille faire grâce à ton bel ami ? Cours vite me le chercher et ne souffre pas qu'il échappe !

     Le nuage rose fit beaucoup courir Catherine. Entraîné par le vent, il allait disparaître ; Catherine lui jeta le fil qui la retenait dans l'air, et aussitôt il vint se blottir dans son tablier en chantant d'une voix douce et plaintive : — Cher petit tablier qui m'as déjà sauvé, sauve-moi encore ! Catherine, bonne Catherine, prends pitié de moi ; ne me livre pas à la fileuse !

     Catherine revint auprès de sa tante. Elle avait relevé et noué son tablier, espérant que dame Colette n’y ferait pas attention. Le fait est qu'elle était très affairée ; elle avait bien dressé et bien peigné sa meule, et, armée de cardes très fines, elle commençait à carder les nuages. Elle allait si vite qu'en un moment ce fut fini, et, comme Catherine se baissait pour enlever une charge de cette ouate éclatante, son tablier se dénoua, et le nuage rose roula dans le tas. — Ah ! friponne que vous êtes ! dit la tante en le saisissant dans ses cardes ; vous avez cru que je ne le découvrirais pas ! Au tas, le nuage rose, au tas comme les autres !

     — Ma tante ! ma tante ! grâce pour celui-là ! s'écria Catherine, grâce pour mon petit nuage !

     — Mets-le sur ta quenouille, répondit dame Colette ; le voilà cardé, fais-en du fil, et vite, et vite ! je le veux !

     Catherine reprit sa quenouille, et fila en fermant les yeux pour ne pas voir l'agonie du pauvre nuage ; elle entendit de faibles plaintes, elle faillit jeter la quenouille et se sauver ; mais ses mains s'engourdirent, ses yeux se troublèrent, et elle se retrouva couchée sur la pierre moussue, à côté de sa tante, qui dormait aussi.

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