ABC > Lettre : L > Mot : Littérature > Rubriques : Poème, romance, idylle, en prose et en vers > Titre : Nuages - Victor HUGO

Victor HUGO
poète, romancier, dramaturge
et  personnalité politique, français
Besançon 26 février 1802 - Paris 22 mai 1885

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Nuages

I

Le ciel soudain se fit tout sombre ; une tempête
Approchait, et je vis, en relevant la tête,
Un grand nuage obscur posé sur l'horizon.
Aucun tonnerre encor ne grondait ; le gazon
Frissonnait près de moi ; les branches tremblaient toutes,
Et des passants lointains se hâtaient sur les routes.
Cependant le nuage au flanc vitreux et roux
Grandissait comme un mont qui marcherait vers nous.
On voyait dans les prés s'effarer les cavales
Et les troupeaux s'enfuir, bêlant par intervalles.
Terreur des bois profonds, des champs silencieux,
Emplissant tout à coup tout un côté des cieux,
Une lueur sinistre, effrayante, inconnue,
D'un sourd reflet de cuivre illumina la nue
Et passa ; comme si, sous le souffle de Dieu,
De grands poissons de flamme aux écailles de feu,
Vastes formes dans l'ombre au hasard remuées,
En ce sombre océan de brume et de nuées
Nageaient, et dans les flots du lourd nuage noir
Se laissaient par instants vaguement entrevoir.

II

Nous marchons ; il a plu toute la nuit ; le vent
Pleure dans les sapins ; pas de soleil levant ;
Tout frissonne ; le ciel, de teinte grise et mate,
Nous verse tristement un jour de casemate.
Tout à coup, au détour du sentier recourbé,
Apparaît un nuage entre deux monts tombé.
Il est dans le vallon comme en un vase énorme.
C'est un mur, de brouillard, sans couleur et sans forme.
Rien au delà. Tout cesse. On n'entend aucun son ;
On voit le dernier arbre et le dernier buisson.
La brume, chaos morne, impénétrable et vide,
Où flotte affreusement une lueur livide,
Emplit l'angle hideux du ravin de granit.
On croirait que c'est là que le monde finit
Et que va commencer la nuée éternelle.
— Borne où l'âme et l'oiseau sentent faiblir, leur aile,
Abîme où le penseur se penche avec effroi,
Puits de l'ombre infinie, oh ! disais-je, est-ce toi ?
Alors, je m'enfonçai dans ma pensée obscure,
Laissant mes compagnons errer à l'aventure.

Pyrénées, 28 août

in Toute la lyre - La nature

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